La sténose laryngo-trachéale acquise et ses difficultés thérapeutiques
Saloua Ouraini (souraini at orl-fmpr dot com) #, Ismail Nakkabi, Noureddine Errami, Ahmed Rouihi, Ilias Benchafai, Fouad Benariba
Service d’ORL et CCF, Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V, CHU Ibn Sina - Rabat
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.3.1639
Date
2016-09-24
Citer comme
Research fr 2016;3:1639
Licence
Résumé

Les sténoses laryngo-trachéales se définissent par le rétrécissement du calibre de la filière du larynx et de la trachée. Les causes les plus fréquentes sont des traumatismes cervicaux externes et les intubations endotrachéales prolongées. L’objectif de notre travail a été de rapporter les difficultés de la prise en charge d’un cas de sténose aryténo-crico-trachéale secondaire à une intubation prolongée. Le traitement endoscopique a bénéficié de l’apport du laser. La résection anastomose reste dans la plupart des cas le traitement de référence.

English Abstract

Laryngotracheal stenosis is defined as the narrowing of the caliber of the larynx and trachea. The most common causes are external cervical traumas and prolonged endotracheal intubations. The aim of our study was to report the management difficulties in a case of an aryteno-crico-tracheal stenosis caused by a prolonged intubation. Laser has improved endoscopic treatment however the anastomosis resection remains in most cases the reference treatment.

Introduction

Les sténoses laryngo-trachéales acquises représentent une pathologie rare mais grave et de morbidité lourde. Elles sont le plus souvent secondaires à une intubation endotrachéale prolongée [1]. Rarement, elles peuvent être en rapport avec un traumatisme direct. Lors des intubations prolongées, les lésions sont liées à l’ischémie de la muqueuse par le ballonnet ou la sonde, les ulcérations muqueuses peuvent entrainer une périchondrite ou une chondrite avec perte cartilagineuse. La cicatrisation qui en résulte va entrainer une fibrose sous muqueuse et une rétraction des tissus avec perte de mobilité. Le traitement a pour objectif de rétablir une filière respiratoire tout en préservant les fonctions du larynx qui sont la protection des voies aériennes, la phonation et le maintien de la fermeture du plan glottique [2].

La sténose laryngo-trachéale acquise et ses difficultés thérapeutiques Figure 1
Figure 1. fibroscopie laryngée montrant une sténose sous glottique circulaire remontant jusqu'au bord libre des cordes vocales, d’aspect fibreux.
Cas clinique

Il s’agissait d’un patient âgé de 19 ans, victime d’un accident de la voie publique avec point d’impact crânien et coma consécutif. Il a bénéficié d’une intubation trachéale, relayée par une trachéotomie, lors de son séjour en réanimation. Les suites ont été marquées par des difficultés de sevrage et de décanulation. La nasofibroscopie a montré une immobilité de l’hémi-larynx droit. Le bilan endoscopique sous anesthésie générale a mis en évidence une sténose sous glottique circulaire remontant jusqu'au bord libre des cordes vocales, d’aspect fibreux (figure 1). Le bilan radiologique (TDM cervicale) a objectivé une sténose circulaire du complexe aryténo-crico-trachéale (figure 2). Malgré trois séances de Laser CO2 réalisées à un mois d’intervalle la sténose laryngo-trachéale persistait à l’examen endoscopique et au scanner cervico-thoracique (figure 3).

La sténose laryngo-trachéale acquise et ses difficultés thérapeutiques Figure 2
Figure 2. TDM cervico-thoracique : Sténose trachéale circonférentielle de 15 mm au dessus de l’orifice de trachéotomie arrivant jusqu’au cartilage cricoïde qui est complètement sténosé.

Une résection anastomose thyro-crico-trachéale a été réalisée avec mise en place d’un tube de calibrage, remplacé par la suite par une canule de Shiley en raison d’une gêne respiratoire. La décanulation du malade 3 mois plus tard a provoqué dyspnée, cornage, sueurs, agitation et impossibilité de tenir la position couchée. Une trachéo-bronchoscopie sous anésthésie générale a été réalisée montrant la présence d’une sténose aryténo-crico-trachéale (2 anneaux trachéaux) avec perte complète du soutien trachéal antéro-latéral. Le patient présentait en plus une diminution importante de la mobilité laryngée de façon bilatérale due à une ankylose crico-aryténoïdienne avec bride postérieure et synéchie glottique antérieure post intubation. Le patient n’a pas toléré la décanulation, d’où la décision d’une reprise de la trachéotomie avec canule parlante fenêtrée. Le recul est de 2 ans.

La sténose laryngo-trachéale acquise et ses difficultés thérapeutiques Figure 3
Figure 3. persistance de la sténose laryngo-trachéale au scanner cervico-thoracique après traitement endoscopique.
Discussion

L’intubation de la trachée est responsable de 86% des sténoses laryngo-trachéales [2]. Seules 14% ont une origine autre : idiopathique, tumorale, malformative, etc…

Grade Degrés d’obstruction de la lumière
Grade 10% a 50%
Grade 251% a 70%
Grade 371% a 99%
Grade 4100%
Tableau 1. Classification de Myers-Cotton décrivant les sténoses circonférentielles de la région sous glottique.

La physiopathologie [3] des sténoses laryngo-trachéales dues à une intubation prolongée fait intervenir des lésions ischémiques avec ulcération muqueuse et mise à nu des cartilages, induites par la pression du ballonnet ; par le biais des phénomènes inflammatoires et infectieux locaux, il s’ensuit une perichondrite ou une chondrite avec perte cartilagineuse. Les sténoses associent à des degrés divers, une fibrose cicatricielle rétractile de la muqueuse et une instabilité du support cartilagineux trachéal (malacie). Les atteintes de la partie postérieure du larynx prédominent.

Il existe plusieurs classifications des sténoses laryngo-trachéale, celle de Myers-Cotton décrit les sténoses circonférentielles de la région sous glottique en fonction du degré d’obstruction de la lumière (tableau 1) [4].

Le siège habituel des sténoses post intubations est la région sous glottique qui est représentée par un anneau cartilagineux ; le cartilage cricoïde. C’est au niveau de cette région la plus étroite que la muqueuse et les tissus mous sous muqueux vont êtres bloqués entre les deux structures inextensibles et incompressibles que sont la sonde d’intubation en dedans et le cartilage cricoïde en dehors.

Situées au carrefour de la laryngologie, de la chirurgie thoracique, de la pneumologie et de la réanimation, les sténoses des voies aériennes supérieures restent encore un problème pour l’ORL. La prise en charge thérapeutique dépend de l’importance de la sténose [5] et repose en première intention sur le traitement médical qui est basé sur la corticothérapie et l’antibiothérapie. Ce traitement vise à réduire l’inflammation et à stabiliser les lésions sténosantes. Le traitement anti-reflux gastro-œsophagien trouve aussi sa place dans l’arsenal thérapeutique médical. La Mitomycine C également reconnue pour ses propriétés anti-collagène et anti-fibrine permet de diminuer la formation de sténoses cicatricielles, elle peut être utilisée à une concentration de 0,4 à 0,5 mg /ml en applications locales de 2 a 5 minutes.

Le traitement endoscopique [6] par Laser a largement contribué à la prise en charge des sténoses notamment grâce a sa précision, sa maniabilité, sa bonne hémostase ainsi que par l’absence d’œdème post opératoire. Cet outil est utilisable à tout moment lors de la prise en charge des sténoses stables et ce avant ou après la chirurgie. Différents types peuvent êtres utilisés : le laser CO2, le laser YAG, le laser diode. Néanmoins le taux de récidive est de 40-60% avec ce type de traitement, nécessitant jusqu'à 5 séances en l’espace de 12 mois. Chez notre patient la sténose a persisté malgré 3 séances de laser CO2.

Le traitement curatif des sténoses laryngo-trachéales reste avant tout chirurgical. C’est souvent un compromis entre la respiration et la phonation car il est possible d’améliorer la respiration parfois au détriment de la qualité vocale, avec un risque de fausses routes. Il a fait d’importants progrès, il n’en demeure pas moins une chirurgie difficile et dangereuse nécessitant un nursing postopératoire extrêmement vigilant. Différentes techniques sont proposées, leurs indications dépend de la qualité de la mobilité aryténoïdienne, de l’aspect macroscopique de la sténose c'est-à-dire de son étendue en hauteur, de l’état du cartilage cricoïde et de l’importance des lésions de la face postérieure de la région sous glottique.

  • - En cas de mobilité aryténoïdienne normale :
    • o Si la sténose est limitée au cartilage cricoïde, une laryngotracheoplastie d’agrandissement par greffon cartilagineux sera le plus souvent utilisée sans calibrage.
    • o Si la sténose est circulaire, le cas de notre patient, il sera préféré une cricotomie antérieure et postérieure avec interposition d’un fragment de cartilage au niveau de ces 2 incisions et calibrage soit par un tube en Téflon soit par une feuille de Silastic [7]. La durée du calibrage est essentiellement fonction de l’importance de la sténose, dans les formes de Grade IV le calibrage doit être laissé en place pour une durée minimale de 3 mois, dans les autres grades des durées de 1 a 3 mois sont suffisantes.
  • - En cas d’immobilité glottique par ankylose crico-aryténoïdienne avec sténose sous glottique sévère et étendue, Il est possible de combiner une résection cricotrachéale avec une cricotomie verticale postérieure, interposition cartilagineuse et calibrage supracanulaire prolongé. Une laryngotrachéoplastie avec agrandissement antérieur et postérieur associé a une quadrisection du cricoïde peut être aussi adaptée.
  • - En cas de récidive après chirurgie, un traitement endoscopique peut être préconisé. Une deuxième intervention peut être toujours proposée. Néanmoins un délai d’au moins 1 an est à respecter afin de stabiliser au maximum la lésion sténotique. Le taux de succès thérapeutique en cas de sténose laryngo-trachéale tout grade confondu est entre 70 et 90%.
Conclusion

Les sténoses laryngo-trachéales ont bénéficié de compétences multidisciplinaires pour permettre le développement d’une attitude thérapeutique délibérément curative.

Si la résection anastomose reste le traitement de référence [8], l’apport du traitement endoscopique a permis de prendre en charge un certain nombre de sténoses.

Les résultats obtenus sont satisfaisants, mais ils ne doivent pas faire ignorer un certain nombre d’échecs, c’est de la meilleure connaissance des phénomènes de cicatrisation muqueuse et des réactions inflammatoires que nous pourrons à l’avenir espérer une amélioration de la prise en charge des sténoses laryngo-trachéales post intubations.

Références
  1. Löwenheim H, Welkoborsky H. [Surgery with laryngotracheal stenosis. Rib cartilage interposition for airway reconstruction]. Laryngorhinootologie. 2015;94:148-9 pubmed
  2. - O.Cuisnier, Ch.Rhighini, Ch.Pison, G.Ferretti, E.Reyt. Prise en charge chirurgicale et/ou endoscopique des sténoses trachéales acquises non tumorales de l’adulte. Ann Otolaryngol Chir Cervico-fac, 2004 ; 121, 1,3-13.
  3. Zozzaro M, Harirchian S, Cohen E. Flexible fiber CO2 laser ablation of subglottic and tracheal stenosis. Laryngoscope. 2012;122:128-30 pubmed publisher
  4. - T.Van Den Abbeele, V.Couloigner, P.Narcy. Chirurgie des sténoses laryngées chez l’enfant. 1762-5688/S,10.1016/J.EMCORL.2004.08.003.
  5. Erratum: Borderud SP, Li Y, Burkhalter JE, Sheffer CE and Ostroff JS. Electronic cigarette use among patients with cancer: Characteristics of electronic cigarette users and their smoking cessation outcomes. Cancer. doi: 10.1002/ cncr.28811. Cancer. 2015;121:800 pubmed
  6. Stevens M, Chang A, Simpson C. Supraglottic stenosis: etiology and treatment of a rare condition. Ann Otol Rhinol Laryngol. 2013;122:205-9 pubmed
  7. Younis R, Lazar R, Astor F. Posterior cartilage graft in single-stage laryngotracheal reconstruction. Otolaryngol Head Neck Surg. 2003;129:168-75 pubmed
  8. - J-M.Triglia, T.Portmann. Le traitement chirurgical des sténoses laryngotracheales de l’enfant. Journal de Pédiatrie et de Puériculture n 6-1993.
ISSN : 2334-1009